Les hommes de Tagoresse
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Les hommes de Tagoresse Auteur : Myriam MORAND Éditeur : Autoédition ! Pour l’acheter Type: Roman Genre: Action/sentimental
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Sur la planète Toryome, Norh Kleyan-Ardan, jeune aristocrate oisif, tue sans le vouloir sa compagne. Il découvre qu’il possède un don unique en son genre qui intimide jusque dans sa puissante famille. Afin d’apaiser les tensions, son père, le magnat Kymsell Kleyan-Ardan, décide de l’exiler sur Tagoresse, la planète des chantiers sur laquelle son fils sera traité comme un simple ouvrier. Devant supporter sa nouvelle condition, il appréhende le monde des petites gens, de la douleur, des efforts et des enjeux politiques entre les deux peuples : celui de Toryome et celui d’Okaboka.
De son côté, Akaelle Sheri est une opératrice, comme tant d’autres, dans une entreprise. Sa vie est sans éclat son emploi répétitif, et ses collègues encombrants ou amicaux. Mais des voisins désagréables s’installent dans son immeuble et la poussent malgré elle à la violence. Dans la société patriarcale de Toryome, la justice expédie son cas en l’exilant comme esclave sur Tagoresse. Désormais, elle devra purger sa peine en tant qu’esclave. Elle ne vaut pas plus que du bétail, entassée dans des dortoirs miteux avec plusieurs de ses compagnes. Travaillant pour une misère, Akaelle n’est pas à l’abri de la cruauté masculine, ni même des hordes de renégats qui sévissent. Les occupants des chantiers doivent aussi faire face à une autre menace : les femmes de la planète Okaboka.
Ces planètes sont situées dans la Galaxie d’Orilonde appartenant au Monde Connu, cette partie de l’Univers exploré. Elles sont habités par les humains : ordinaires — c’est-à-dire sans particularités — et dotés de facultés spécifiques comme les EleK, capables de produire de l’électricité par la seule force de leur esprit.
Toryome est un astre culturellement patriarcal. Les femmes possèdent des droits basiques, mais elles ne peuvent prétendre à des postes hauts placés. Toryome redoute Okaboka, sous domination matriarcale ! Entre les deux, Tagoresse est au cœur des luttes de pouvoirs.
Auteure de plusieurs romans se déroulant sur des planètes imaginaires, Myriam Morand nous plonge dans une intrigue abondante en action et rebondissements. Son écriture ne s’embarrasse pas de fioritures : elle est efficace et va à l’essentielle. Elle possède un réel sens du dialogue et de construction de personnages, ainsi qu’un talent de conteuse. Le contexte géopolitique, simple est immersif.
Ce premier volume montre avec soin l’évolution de Norh Kleyan-Ardan qui, au début du récit, concentre de plusieurs clichés : beau, riche, pourvu d’une morale et d’une idéologie issue d’une classe aisée. Grâce aux embûches qui se trouvent sur sa voie, Myriam Morand pervertit son caractère, humanise le jeune roquet pour le déchoir de sa tour d’ivoire. Égoïste, autoritaire, pourri, gâté, mais surtout aveugle au monde qui l’entoure, il est représentatif d’une partie infime de la population qui, pourtant, influence un grand nombre de personnes : les nantis, « les fils de ». Dans la société Toryome — dont l’auteur calque son système sur le nôtre, en forçant à peine les défauts de nos vieilles civilisations occidentales —, un coup du sort permet à l’aristocrate une renaissance : en tuant un être cher, il obtient le pouvoir de pyrokinésie. Les lecteurs apprennent que sa réputation, le caractère que l’on connait de lui, est pour partie exagérée par une presse toujours avide de sensations. Norh — qui refuse de se fondre dans le moule de la classe dirigeante, tout en gardant les avantages — est le coupable désigné, le bouc émissaire sur lequel la populace va se focaliser en oubliant ce qui se trame derrière son dos. La rédemption de Norh sur Tagoresse, sa vision de « l’extérieur » le font mûrir vite.
Astucieusement, Myriam Morand présente Akaelle Sheri qui subit une vie assez ennuyeuse et portant un poids dans son cœur. Cette fois-ci, au travers de son regard de jeune femme faussement libre, les lecteurs suivent une existence représentative de tant d’autres. Des concessions, des habitudes qui ne devraient pas en être la composent… L’alternance entre les chapitres dédiés à chacun des deux héros rend le télescopage entre ces 5 mondes (celui des nantis, du peuple, de Tagoresse, des hommes et des femmes) plus intense. D’un coup, Tagoresse se dévoile non plus par le prisme du pauvre petit fils de riche — qui garde les privilèges d’un homme —, mais par celui de la femme qui perd de son humanité en devenant une esclave, corvéable à merci.
Dans le déroulement atypique de son récit, l’auteur brosse un beau panel de personnalités secondaires varié aux destins intéressants et complémentaires. : Lili, la femme forte, égoïste, qui choisit la liberté ; Koakoa la sauvage dont les élans morbides trouvent leurs sources dans son passé douloureux… Chacun des protagonistes est bien construit et cohérent avec l’univers. En certaines occasions leurs exactions peuvent même être excusables, car il est très compliqué de se défaire d’un formatage social rigide. Accepter d’autres opinions demande de la part des êtres humains des efforts inimaginables. Il faut quelquefois aller chercher le traumatisme pour réussir à basculer les schémas de pensées que notre éducation et notre environnement ont enkysté dans nos cerveaux.
Avec son écriture alerte, Myriam Morand n’hésite pas à maltraiter ses personnages. Elle amène la romance plus subtilement que dans d’autres de ses œuvres (planète Firn Firn, par exemple). La révélation amoureuse se construit doucement, au fil de l’évolution des préjugés de Norh et d’Akaelle. Elle n’est pas sans heurts dans un endroit avec peu d’intimité, mais elle n’est pas impossible non plus. Les réactions des habitants du chantier K-A 8 sont crédibles : le courage, l’intelligence et l’esprit d’entraide rappellent que dans l’adversité et en proie à une catastrophe, les humains sont tous solidaires. Pourtant, elle apporte de la nuance avec les dirigeants (du chantier, de l’entreprise…) avides de pouvoir qui ne peuvent s’empêcher de rester dans une démarche conservatrice. Ils tentent de préserver leurs privilèges en refusant, ou acceptant si peu, les changements auxquels ils doivent faire face.
Myriam Morand ne prend pas ouvertement parti et laisse le choix aux lecteurs de réfléchir aux enjeux et de se forger une opinion.
Hélas, malgré tous ces éloges mérités, quelques petits soucis au niveau de la langue demeurent. De nombreuses répétitions, les abus de conjonctions de coordination (mais où est donc Ornicar ? Un peu partout :p), quelques phrases mal tournées et des coquilles qui ont échappés aux relectures. La quasi-absence de vocabulaire typiquement SF est manifeste. Cela aurait épargné quelques descriptions maladroites (les bus sans roues…) : aéroplane, aéroglisseur, astronef, aéronef, holo-montre, visiophone, drone… mais aussi des noms plus spécifiques aux dispositifs de chantiers. Pour un roman autoédité, on peut saluer le soin accordé à la couverture, que ce soit l’avant ou l’arrière. Les gravats sont du meilleur effet. Le choix de la police de caractère pour le titre est judicieux.
Malgré des tics d’écritures (ornicar, adverbes…), les lecteurs prêts à se plonger dans des aventures avec un tout peu d’éléments SF pourront savourer des univers admirablement bien construits, des intrigues rondement menées, des situations variées. Les hommes de Tagoresse est plus axé sur les relations humaines que sur les réflexions liées aux évolutions technologiques.
Sa saga galactique rejoint tout un pan des histoires de l’imaginaire où les humains ont colonisé d’autres mondes : Ténébreuse créée par Marion Zimmer Bradley où l’on retrouve des personnages avec des pouvoirs spéciaux…, Honor Harrington, une série de récits formant un vaste space opera composé par David Weber…
Les hommes de Tagoresse est un roman agréable, facile d’accès dont il est difficile de deviner le dénouement !
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