Les Femmes du Zodiaque, Tome 1 : Le Col de Kewaizaka

Les Femmes du Zodiaque, Tome 1 : Le Col de Kewaizaka

Dessinateur et scénariste : Miyako Maki
Éditeur : Le Lézard noir
Type: Manga

Le Lézard noir est un éditeur dont le catalogue propose toujours un livre là où on ne l’attend pas, sans perdre de sa cohérence. Pour ce titre, en 2 volumes (le premier est sorti mi-novembre 2014 ; le suivant paraitra en 2015), il s’attaque à du josei, vintage de surcroit, reconnu comme faisant partie du gekiga. Ce jargon désigne tout simplement une bande dessinée ciblant en premier lieu les femmes (mais pas que), des années 70, dépeignant avec le plus de réalisme possible la société de l’époque qu’elle remet en question.
Les Femmes du Zodiaque, première œuvre de Miyako Maki [1] en France, confirme la vitalité qui anime la bande dessinée nippone depuis des décennies. Paru à une période de bouleversements, de libération — les années 70 — ce manga compile plusieurs nouvelles abordant des destins amoureux de femmes influencés par les astres : sentiments contradictoires entre une jeune fille et son beau père avec un prix à payer, délires paranoïaques, troubles, volupté, confort de vie, émancipation…

Loin des mièvreries de certains mangas principalement destinés aux adolescents des deux sexes (autant shōjo que shōnen) et aux jeunes femmes (josei), Miyako Maki présente des récits où ses personnages d’âges et de milieux divers réfléchissent aux rapports qu’ils entretiennent les uns avec les autres, sous le couvert de la fatalité imposée par la roue du zodiaque occidental. Celui-ci est composé de 12 signes qui présument de notre caractère, de notre comportement, de nos choix, dont évidemment, le choix amoureux.
L’astrologie, pratique souvent associée aux femmes, remplit des pages de revues et de journaux avec des prédictions combinant dates et planètes. Le zodiaque serait un guide de vie. Ici, il devient une métaphore d’un destin tracé, d’une croyance, d’un conditionnement. La mangaka s’en sert pour dénoncer les abus dans une époque qui remet en question différentes valeurs liées, entre autres, à l’éducation, la famille, la sexualité.

Les algues sans racines
Nami, jeune femme Taureau, vit dans un appartement près des chemins de fer. Le rythme pénétrant des trains ne l’aide pas à rester calme face à son avenir. Elle angoisse à l’idée de tomber enceinte. Sa panique est accentuée par le retard de ses règles, et son compagnon, avec lequel elle n’est pas mariée, lui parait trop désinvolte.
Dans ce récit sombre, tramé, avec de petites cases, l’espace étroit écrase le personnage. Les onomatopées transpercent les dessins comme les tympans de la jeune femme. La mise en page anxiogène nous étouffe avec elle. Nami flotte dans son univers, sans attaches, telles les algues sans racines de son aquarium. Pourtant, c’est aussi à elle de créer son socle…

Décrochage en rouge
Eiko, Une jeune mère au foyer délaissée par son mari salaryman découvre que celui-ci rentre en voiture de la gare avec sa voisine au lieu de prendre un taxi. L’incident en resterait là si cette voiture, rouge, n’avait pas tapé dans l’œil de sa fille Miho. L’enfant remarque le bolide plusieurs fois en ville. Cette présence féminine aux mœurs plus libérées qu’Eiko se transforme en obsession. Les deux femmes, bien que nées le même jour, du signe du Cancer, ont des caractères opposés. Les retrouvailles avec un ancien camarade de classe compliquent la situation. Eiko est embarquée dans un complot des plus sordides.

Le Col de Kewaizaka
Ce récit en cinq chapitres s’attarde sur le passé d’une professeure de koto [2], Aya, du signe de la Vierge, aveugle depuis l’âge de 10 ans.
Avant d’être privée de lumière, jeune fille, elle découvre les frissons procurés par les caresses d’une fleur d’Albizia sur sa peau. La signification du nom de la fleur lui dévoile sa mère entravée par des cordes et son beau père en plein acte charnel. Prise en flagrant délit de voyeurisme, poursuivit par son beau père qu’elle déteste, elle chute d’un arbre et perd la vue. Mais avec le temps, les sentiments évoluent. Elle lui pardonne. Les saisons passent, la fillette tel un papillon, se mue en femme. Sa mère décède et Aya reste auprès de son beau père. Aveugle, elle ne le voit pas vieillir. Pour elle, le temps se fige, l’amour demeure éternel même si elle est seule. L’histoire dramatique possède une mise en page lumineuse montrant qu’être atteint de cécité n’est pas forcément vivre dans les ténèbres.

La Tour aux papillons de nuit
Trois femmes, respectivement Verseau, Balance et Capricorne, sont liées par un même homme. L’une est totalement indépendante : célibataire, audacieuse, patron de sa société. L’autre est une Office Lady qui arrête sa carrière pour épouser un collègue de bureau.
La troisième est une jeune employée fraichement embauchée, adepte des prédictions astrologiques.
Débutant sa vie d’adulte, elle se cherche encore et oscille entre les deux chemins de vie proposés par les deux autres modèles féminins. Peu importe le cas, la pression sociale est mise en avant. La rencontre avec l’homme qui a été tour à tour l’amant de l’une et de l’autre va montrer à la jeune fille les possibilités qui l’attendent et qu’elle pourra accepter ou refuser.

Nuages d’automne
Cette tendre comédie met en scène Yukiko, jeune femme bélier têtue et maladroite. Elle travaille dans une station-service et ne remarque pas que son collègue en pince pour elle. Heureusement, son grand père manigance pour réunir les deux tourtereaux.

Ces histoires, plus contemporaines que jamais, nous rappellent que le poids de la société, le matraquage idéologique sous diverses formes n’ont jamais vraiment disparu. Des exemples sont faciles à débusquer dans une partie de la production des mangas, avec, par exemple, la mise en avant depuis les années 90 des shōjo se déroulant en milieu scolaire, dans lesquels l’héroïne recherche le plus beau, le plus cool des mecs, le prince du lycée, qui saura la soumettre, dont elle deviendra la chose (même sexuellement) tout en restant gourde… la liste de poncifs malsains est longue et certains auteur-e-s s’en sont fait une spécialité. Très peu d’œuvres pulvérisent ces clichés. Les histoires des Femmes du Zodiaque apparaissent comme un souffle salvateur au milieu de cette masse insipide et réductrice.
Décryptant avec justesse les sentiments des personnages, Miyako Maki questionne les destins de différentes femmes : naïve, vénéneuse, au foyer et imaginative, mais aussi par le biais des yeux d’une enfant pleine de candeur. Dans son univers enfantin, elle ne voit pas ce qui est pernicieux et douloureux, du côté des adultes, ce qui fait souffrir sa mère. Cela apporte une distanciation appréciable et cocasse au récit.

Ce premier volume, paru en novembre 2014, est épais et propose une impression impeccable sur du papier de qualité. Le trait de la dessinatrice, tour à tour sensuel, érotique, ou parfois amusé, se marie avec une mise en page audacieuse et inventive. Les coupes de cheveux, les vêtements variés sont d’époque et donnent avec le recul une légère atmosphère nostalgique. Cependant, une des pages se trouve à la mauvaise place (ce qui n’était pas le cas dans la maquette pdf). Le travail de Miyako Maki pourra rappeler parfois celui de Kazuo Kamimura, mangaka de la même période questionnant des idées similaires.
Loin de l’eau de rose sans fond, Miyako Maki nous montre que l’on peut combiner romances et propos intelligents au sein d’une lecture distrayante. Pour tous.

Site de l’éditeur
Bande annonce

[1] Miyako Maki est l’une des pionnières de la bande dessinée japonaise ; elle débuta sa carrière en 1957, alors âgée de 22 ans, avec Haha Koi Warutsu, aux côtés de Machiko Hasegawa, l’auteur de Sazae-san (début : 1940), de Masako Watanabe (début : 1952) et Hideko Mizuno (début : 1955). Miyako Maki a eu une carrière prolifique et importante d’abord dans le shōjo, puis dans le josei (désigné aussi sous les noms de « ladies » (レディース, redīsu) ou « ladies’ comics » (レディコミ, redikomi, lit. « LadyComi »).
Ses illustrations inspirent la création de la poupée Licca-chan, l’équivalente Nippone de Barbie.
Elle travailla avec Leiji Matsumoto qu’elle épousa en 1961 puis ne dessina plus qu’à l’occasion. Source
[2] Instrument de musique traditionnel japonais à cordes pincées.






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