Question de sous…
Il y a quelques temps, je m’étais fendue d’un billet sur la collaboration entre un dessinateur et un scénariste (que l’on pouvait étendre avec un coloriste, par exemple) et j’avais abordé, parmi toutes les questions, celle du salaire.
Le 29 mai 2010, je tombe sur un article, Les auteurs de bande dessinée seraient moins payés qu’en 2001. Un sujet brûlant d’actualité, un coup de gueule et une mise au point que le scénariste Kris propose sur sa page Facebook. Pour résumer, actuellement, un auteur débutant touche moins par planche qu’il y a plus d’une dizaine d’années. Comment cela ce fait-il ?
On pourrait penser que la crise a encore frappée, faisant couler des éditeurs, augmenter les coups d’impression des albums… mais tout cela est bien plus complexe. Je serais bien incapable d’en faire le tour dans ce court billet. Néanmoins, je propose quelques pistes :
La concurrence est devenue de plus en plus rude, avec l’arrivée massive[1] depuis quelques années de bds italiennes très colorées (ce ne sont plus les fameux fumettis en noir et blanc), dont de très nombreux albums sont destinés à la gente féminine. Il me semble que Skydoll, puis Minnie Mag/WitchMag en soit le commencement grâce à WITCH, la bd réalisée dans ces débuts par Barbucci et Canepa. On a pu ensuite noter Monster Allergy, des mêmes auteurs avec d’autres collaborateurs, avant que la machine ne s’emballe. Il y eut aussi l’arrivée importante aussi des bandes dessinées chinoises (sans parler des coups d’essais de certains éditeurs comme Tonkam, avec Cyber Weapon Z d’Andy Seto, par exemple) avec les éditions Xio Pan et Bao, ainsi que les collaborations chinoises avec l’increvable JD Morvan, ect. Enfin, l’apparition des mangas dans les années 90 sur le marché français, dont l’explosion des publications ces dernières années ont pourtant redonnés des coups de fouet à notre marché interne[2] tant dans la créativité (avec des transgenres, pour le dire vulgairement) que dans les ventes qui ont dopées les catalogues des éditeurs (les plus gros du moins).
Mais à cause de ces derniers, les gens s’attendent à avoir des albums qui sortent à un rythme plus soutenu, pour une consommation massive et rapide. Généralement, on oublie qu’il faut du temps pour dessiner. Au Japon il y a tout un système d’assistanat mis en place… système absent de la production francophone. Du coup, on fait miroiter à certains lecteurs qu’il ne faut que 3 mois pour réaliser 150 planches. Pour ma part, j’ai une moyenne de 120 pages en noir et blanc tramées par an, avec tout le reste à côté (les études au départ, puis du boulot, ect.)
Je me souviens très bien de Fées et tendres automates ou de Candélabre… il fallait aimer ces bd pour attendre leur suite ! Et pourtant j’ai tenu le coup. Je ne parle pas, bien sur, de la rémunération de ses auteurs étrangers, mais du fait que leurs albums, présents sur notre marché local, entre en concurrence avec ceux de nos auteurs… en bien, car il faut diversifier ses lectures !
Photo de StellaBlack
Suivant les désirs des consommateurs pressés, les éditeurs demandent d’aller plus vite pour la réalisation d’un album. Les ventes qui ont déjà une assise et un public continuent de vivre (à peu près) comme avant, car ces produits sont rentables. Mais les nouveaux auteurs sont pris dans un nombre de publications de plus en plus grand. Or cet état de surproduction entraîne de façon logique un rythme plus court de vie du livre dans les bacs, et ce dernier est systématiquement imprimé, distribué et exposé quelques semaines seulement, avant d’être renvoyé et pilonné. Heureusement, les auteurs auront eu la chance d’être payés. Mais ceux qui ne se vendent pas voient stopper leur publication tout de suite dans la plupart des cas : il n’y a plus le temps de conquérir un public sur la durée, de se faire une place ou un nom…
Ensuite, dans une moindre mesure, l’absence de prépublication dans la presse, chez bon nombre d’éditeurs réduit les revenus rapides générés par les albums, de nos jours. Dès lors, les auteurs sont de plus en plus nombreux à s’éditer tout d’abord sur la toile, afin d’avoir une plus grande visibilité. Ce coup de pub, ils le font sans revenu, et cela ne les laisse pas non plus à l’abri du piratage.
On peut aussi noter une concurrence de plus en plus forte, de nouveaux auteurs, de plus en plus nombreux, faisant leur apparition. Il n’y a qu’à regarder le monde du fanzinat de type manga (pour parler de celui que je connais le plus), en France, pour constater qu’une partie de leur auteur travaillent maintenant dans le monde de l’édition (même s’ils ont fait des écoles) soit en temps que dessinateurs (Aurore, par exemple), soit en temps que coloristes pour une très majorité d’entre eux.
Pourtant, selon Kris, les conditions de vie ont largement augmenté ainsi que le prix des albums. Mais les coûts éditoriaux ont largement diminués (frais de fabrication économisés grâce aux progrès des techniques d’impression, de l’informatique, du moindre stockage des albums, de l’externalisation de nombreux postes éditoriaux autrefois salariés etc.). Et la plupart des auteurs qui démarrent (voire même des plus anciens) sont infiniment moins payés qu’avant[3].
D. Boriau, scénariste de l’album Passages Secrets chez Kstr m’avait parlée de cette tendance l’an dernier lors de mon premier séjour à Bruxelles. Les auteurs se font payer de plus en plus au forfait et non plus à la planche : une somme globale est accordée pour faire votre album… d’où le conseil que l’on retrouve de plus en plus souvent ‘avoir un métier à côté’… chose qu’il n’est pas aisé de concilier lorsqu’il faut du temps pour encrer certaines planches assez détaillées (comme les miennes). Choisir encore de vivre correctement et de faire un boulot de qualité qu’on n’aura pas à cacher sous le tapis ?
La scénariste Sissy Pantelis avec qui j’ai discuté de cet article m’a indiqué une situation similaire dans les pays anglophone : « au cours de ces dernières années, il y a eu une apparition de nombreux web comics et de comics produits par des indépendants. La création de Image ou Zenescope en sont les meilleurs exemples. C’est une situation qui a ses avantages : désormais un créateur a plus de possibilités. L’inconvénient serait si on commençait à privilégier la quantité par rapport à la qualité. Écrire ou dessiner VITE ne veut pas dire qu’on le fait BIEN et c’est la chose la plus inquiétante pour les créateurs. »
Qu’en est-il vraiment ?
La faute a qui ? Aux éditeurs, de plus en plus radins (en quoi ?) À la dévalorisation d’un métier ? À l’apparition des webcomics ? La consommation effrénée des albums (sorties de type manga : tous les 3 mois pours 150 pages) ?
Kris résume tout cela très bien sur sa page facebook : « […] le respect dû au travail fourni, à l’investissement, aux différentes cessions de notre patrimoine, etc., ça oui, je ne pourrais jamais m’asseoir dessus. Ou alors, je n’en fais plus mon métier (dans le sens « gagner sa vie avec »). Et certains mots sont importants, parfois. Pour moi, « Métier » en est un. »
Je vous conseille de jeter un coup d’œil sur le billet de Kris et sur l’article en question :
Sources :
http://www.actualitte.com/actualite/26311-auteurs-bande-dessinee-revenus-pages.htm
Notes :
[1] Je ne parle pas des albums sortis ponctuellement auparavant.
[2] http://www.actualitte.com/actualite/23439-marche-bande-dessinee-bilan-acbd.htm
Petit bilan 2010 du marché de la bd : En 2010, on compte tout de même une hausse du nombre des sorties avec 5165 nouveaux titres, contre 4863 en 2009. Parmi ces albums, seuls 27 % sont des rééditions remettant au goût du jour d’anciens titres. Pour les analystes, c’est simple : si les ventes ont légèrement baissé, il faut en remettre la faute à la non parution d’un nouvel album de la série Astérix ou Titeuf, ces derniers portant considérablement le marché de ces dernières années. Dans un marché très concentré, neuf grands groupes occupent 60% du marché malgré l’existence de près de 300 éditeurs différents, le plus gros tirage, en mettant de côté le manga, revient au tome 7 de Joe Bar Team, de Jenfèbre et Perna, avec 500 000 exemplaires écoulés.
[3] Je me permets de faire un copier-coller de la page facebook de Kris sur les différents types de rémunérations qu’il explique très bien :
– Les auteurs de bande dessinée sont généralement rémunérés de 3 façons : en avance sur droits principaux (souvent simplement qualifiées « d’avances » tout court). En avance sur droits dérivés (souvent appelées « faux-fixe ») et en fixe. Ces 3 modes de rémunération viennent coiffer ou compléter la base de ce qui est accordé aux auteurs : des droits d’auteurs. Soit un pourcentage du prix public hors-taxe (PPHT) de son livre, pourcentage multiplié par le nombre d’exemplaires vendus.
– En BD, les droits d’auteurs (DA) se situent généralement dans une fourchette allant de 8 à 12%. En-dessous, c’est rare et anormal (mais c’est par contre habituel dans l’édition jeunesse par exemple). Au-dessus, c’est qu’il vend vraiment très bien. Ces DA peuvent augmenter par palier selon le nombre d’exemplaires vendus (par exemple, 10% en base, 12% au-delà de 40 000 ex.). Dans le cas d’un livre vendu 10 euros HT, un auteur touchera donc en moyenne autour de 0.8 à 1.2 euros.
– L’avance sur droits principaux est une certaine somme d’argent accordée à l’auteur avant la sortie du livre, pendant la réalisation de celui-ci. On estime que le livre va se vendre à un certain nombre d’exemplaires et, en conséquence, on lui verse une somme correspondant à ses futurs droits d’auteurs. Ensuite, quand le livre sort et se vend, l’éditeur se « rembourse » de cette somme en gardant les droits d’auteur pour lui jusqu’au remboursement complet des avances. En gardant toujours le même exemple simple décrit plus haut, si un éditeur a accordé 10 000 euros d’avances à un auteur, il gardera les DA des 10 000 premiers exemplaires vendus pour lui. Au-delà, l’auteur touchera ses 1 euros/livre qui viendront donc s’ajouter à son avance de 10 000 euros. A noter que si le livre vend moins, l’auteur garde quoiqu’il arrive son avance de 10 000 euros. Enfin, cette avance sur droits principaux était auparavant accordée sous forme de prix de page. En moyenne, un auteur gagnait 300 à 400 euros/page. En-dessous, vous étiez un débutant ou le livre comportait une forte part de « risque » pour l’éditeur. Au-dessus, c’est que vous commenciez à vendre de façon conséquente.
– L’avance sur droits dérivés, dite « faux-fixe », est une somme d’argent accordée à l’auteur, toujours en prévision de ses futurs droits d’auteurs. Mais elle ne vient s’imputer QUE sur les droits dérivés (traduction, adaptation audiovisuelle, objets dérivés de l’univers, etc.) et PAS sur les ventes principales du livre (en édition francophone). Il s’agit généralement d’une partie du prix de page : 400 euros/page dont 50% en « faux-fixe » par exemple. En conséquence, l’auteur va toucher des droits d’auteurs bien plus rapidement, 5000 exemplaires vendus dans notre exemple de base. Contrairement aux avances sur droits principaux, l’éditeur va rarement se rembourser de ce « faux-fixe » (d’où son nom). Il s’agit donc d’un vrai bonus pour l’auteur, souvent la seule solution pour qu’il touche réellement une somme conséquente de droits d’auteurs.
– Enfin, le « fixe » (ou « vrai fixe ») est une somme accordée à l’auteur avant la sortie du livre, pendant sa réalisation, et qui n’est pas imputable sur ses droits d’auteurs. C’est un vrai bonus, brut. Et donc extrêmement rare, uniquement accordé aux auteurs ayant un potentiel commercial très important.
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