L’étrange nuit de Monsieur Korb

L’étrange nuit de Monsieur Korb
Scénario et dessin : Frédéric Bézian
Éditeur : Magic Strip
Type: bande dessinée
Genre: fantastique

Publié en 1982 par les éditions Magic Strip, ce très court album signé Bézian nous plonge dans une drôle de nuit… le songe sans fin d’un volatile anthropomorphe incapable d’en sortir.

Dans la pénombre d’une chaussée, Monsieur Korb — un homme à tête de corbeau — semble fuir quelqu’un. Mais des petites frappes le rackettent avant de lui lui tirer dessus. Un rêve ! Sans se départir de son faciès d’oiseau, il se lève. Impossible de se rendormir après ce terrible cauchemar. Vers minuit, il déambule dans les rues, croisant des hommes à tête de bestiaux comme lui et quelques clampins aux tarins proéminents. Las, il pénètre dans un bar et commande un jambon-beurre avant d’être interpellé par un type dont le pif semble aussi long que son bec. L’alcoolique lui offre de lire sa destinée, mais Korb, fauché, refuse. Il se débarrasse de lui grâce à l’arrivée providentielle d’une jeune femme qui lui avoue ses sentiments. Déboussolé, il s’enfuit et rencontre un homme-tronc en train de fumer tranquillement sur le trottoir…

En 30 pages, Bézian propose un récit horrifique, cyclique, où des humains à tête d’animaux et des marginaux se croisent. L’histoire plonge dans une ambiance glaçante, avec un soupçon de mysticisme. Le destin cruel, spirale infernale, emporte Korb dans un cauchemar répétitif. L’auteur use des symboles tel le corbeau — du latin corvus qui signifie la malédiction — qui est, dans diverses mythologies, associé aux événements funestes, prothétiques dont il est parfois le messager, le médiateur entre la vie et la mort. L’artiste utilise la figure de l’alcoolique, pourvu du don de double vue, au sens premier, mais aussi spirituel (prédire l’avenir). Il montre un cirque composé de « monstres », des humains considérés comme des bêtes de foire (homme-tronc, femme imposante..), qui contrairement à Korb, ne possèdent pas de faciès animaux. Tout au long du récit, Bezian donne à son héros un discours embourbé, maladroit sur la normalité et prompt à juger ses semblables, des « ratés » à ses yeux. Qu’est-ce qu’un homme ? Une bête ? Quel masque posons nous sur notre visage ?

L’auteur tente de traduire le temps cyclique, l’éternel retour grâce à son jeu de suggestion, encore assez grossier dans cette bande dessinée, mais convaincante pour un premier galop professionnel. Dans ces œuvres suivantes, Bezain deviendra beaucoup plus fin et subtil, à l’image de son graphisme : un trait expressionniste en adéquation avec l’univers désespéré de ses créations. Ici, la ville apparait fragmentée, telle une esquisse, un dédale sombre, chichement éclairé par des lampadaires. Les planches en noir, blanc et rouge sont agrémentées de trames en bichromie. Les personnages sont disgracieux, tordus, étonnants et dérangeants. Leur look transpire les années 80.

L’étrange nuit de Monsieur Korb, premier album professionnel de Bézian, est paru dans une très belle collection, avec dos toilé et couverture pelliculée. Il est encore trouvable en occasion ou dans les fonds de réserve de certaines bibliothèques. Ce conte noir contemporain pose des bases que l’on retrouvera ensuite dans ses œuvres dessinées plus romantiques (au sens premier du terme), torturées à la manière des Hauts de Hurlevent. Korb, quel drôle d’oiseau celui-là !

En bonus, la quatrième de couverture avec son texte étonnant !







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