Les auteures dans la bande dessinée
Je ne pense pas faire de faute d’orthographe en écrivant « d’auteures », puisque je vais tenter de parler des femmes dans la bande dessinée. Non pas en tant que lectrices, ni en tant que coloristes (souvent les épouses, sœurs, copines de ces messieurs dessinateurs…), mais en qualité de dessinatrices et scénaristes à part entière. Ce n’est pas un article exhaustif sur l’histoire des auteures de BD féminines, juste une piste de réflexion que vous pourrez approfondir avec les liens en bas de la page.
La bande dessinée apparaît être à la base un métier d’hommes, comme l’est l’art en général. Pourquoi ?
Fées et tendres automates, Béatrice Tillier
Je n’ai pas forcément le recul nécessaire par mon âge, ni lu tous les albums de BD réalisés par des femmes, cependant, les clichés qui circulent autour de moi ne présentent pas souvent mes congénères pour ce qu’elles sont, de véritables créatrices. Elles sont montrées comme uniquement portée sur les sentiments, la famille voir une certaine forme de féminisme décrié… où l’art tiendrait plus du hobby, elles, restant sagement au domicile conjugal ( cela me rappelle une chose qu’on m’a souvent rabâché : à la maison, quand une femme cuisine comme une pro, on trouve cela normal, c’est elle qui s’occupe de la famille ; mais dès que c’est un homme, il devient chef renommé).
Cela peut paraître rétrograde après les années 70 et l’apparition du féminisme, et pourtant, je continue de constater cela tous les jours. Voici un exemple flagrant : les loisirs dits créatifs sont souvent l’apanage des femmes qui établissent des associations, les entretiennent, etc. Les hommes, quant à eux, qui sont élevés dans un esprit combattif, vont se surpasser, car ils accordent plus d’importance au prestige de leurs carrières. C’est pour cela qu’ils semblent moins présents dans une certaine frange du fanzinat(celle que je connais le mieux : manga ; beaucoup n’y restent pas longtemps… mais je me trompe peut être :p ) ; s’investir pour ce qui ne demeurera qu’un passe-temps n’a pas l’air de les brancher. De plus, ils ont une certaine fierté de leur dessin : être le plus fort, le meilleur, etc. Ils démarchent très vite les éditeurs.
Pourtant dès les années 1900, aux États-Unis, les femmes sont présentes dans le milieu des comics et des strips pour enfants : Kate Carew, Rose O’Neill , Grace Drayton Fay King, Ethel Plummer, Barksdale Rogers… pour m’en citer que quelques une. Le Japon aussi va fleurir très vite des auteures dont un point culminant se trouvera au milieu des années 70 avec le groupe de l’an 24, un groupe de femmes mangaka dont plusieurs sont nées en l’an 24 de l’ère Shōwa, c’est-à-dire en 1949. Elles ont surtout innové dans le shōjo manga.
En Europe, l’arrivée des femmes s’est faite plus tardivement. En France, l’apparition de Claire Brétecher dans le paysage éditorial sera un tournant. Chantal Montellier fonde en 1976 la revue Ah ! Nana avec Jannick Dionnet dans laquelle Florence Cestac collabore régulièrement. Dans les années 70-80, les auteures posent enfin de vraies questions autour du statut des femmes dans la société.
Plus proche de nous, Béatrice Tiller dessine des albums pouvant toucher un très large public. Tanxxx publie un travail coup-de-poing avec un graphisme puissant. Algésiras écrit des histoires sur des amours interdites et Wendling met en images avec un style à nul autre pareil et virtuose des récits animaliers. On peut sauter aisément d’un style à l’autre d’un dépouillement le plus total aux détails les plus raffinés. Certains fanzines ont pu servir de tremplin à des auteures reconnues dans le monde de l’édition : pour ne citer que les exemples d’Aurore Demilly ou Patricia Lyfoung.
Loin de se cantonner à des récits prônant la place au foyer de la femme avec tous les clichés qui en découlent, un vent de liberté féministe apparaît. Des autobiographies, des fantaisies se développent que cela soit en France, aux États-Unis ou bien au Japon. La vitalité et la variété de ces œuvres et tout à fait incroyable. Elles attirent un nouveau public avec de nouvelles façons de raconter. Tantôt scénaristes, tantôt dessinatrices, de tendances et de graphismes parfois opposés, elles sont présentes à tous les échelons de la création. Les thèmes exploités par la gent féminine sont tout aussi vastes que ceux de son homologue masculin. Si l’originalité ne peut venir que de la pluralité, nul doute que le but est atteint.
Le shôjô manga arrive à écrire dans tous les registres. Les auteures japonaises nous ont montré que leur sexe n’avait pas spécialement d’influence sur leurs héros : Hiromu Arakawa est l’auteure de Full Metal Alchemist, par exemple. Un tel exemple se retrouve aussi en France : Roger Leloup a créé une héroïne en 1970, Yoko Tsuno. L’humanité de ce personnage donne un intérêt essentiel à des histoires qui puisent autant dans les genres historiques que SF, sans jamais tomber dans un cliché de représentation. Je l’ai lu quand j’étais enfant, et des garçons que je connais aussi. Nous avons tous été émus de la même façon.
Cette bande dessinée démontre aussi que le sexe du protagoniste est indifférent à celui du lecteur, tant que celui-ci est porteur de sens. On retrouve ici cette notion dans Gunnm : le personnage Gally, surtout humain, nous parle énormément à tous, femmes et hommes! Certaines bandes dessinées japonaises (hélas, ce n’est pas la totalité) arrivent ainsi à transcender les genres et les sexes pour ne plus nous parler « d’homme à homme », mais plus d’humains à humain. Et c’est hélas ce qui nous manque, chez nous : des récits plus universels, avec un manichéisme moins fort.
Depuis quelques années, émergent des BD qui abordent des thèmes imputés aux femmes : les copines, le gras, bref, le nombril, à prendre le plus souvent dans le mauvais sens du terme et dont le graphisme peut sembler être fait à l’arraché ou issu de la presse féminine. Est-ce à cause d’une certaine une inculture de l’image ? Une idée biaisée de ce que les femmes attendent de la bande dessinée ? Une mise en avant de l’individu et de son égoïsme caractéristique de ces dernières années ? Ou bien des raisons financières qui poussent des éditeurs publier le contenu de blogs anecdotiques et distrayants au coup par coup, mais ne présentant pas souvent d’intérêt sur la durée ?
Ce sont donc des raisons plus financières qu’artistiques qui semblent pousser ces nouvelles formes de récits, car, parallèlement à la bande dessinée, vous aurez notés ces dernières années l’explosion des romans du même genre ! Les éditeurs sont maintenant conscients qu’il y a un public féminin potentiel, longtemps ignoré, n’ayant que peu d’accès à des albums de qualité ou ne s’y retrouvant pas. On a vu naître des collections plus ciblées avec Blackberry chez Soleil. Dentelles, sentiments, intrigues de cours… ce qui faisait le succès d’une frange de la littérature est injecté dans le domaine de la BD avec plus ou moins de bonheur.
Mais changer les mentalités reste très dur. Les clivages sont toujours présents et les éditeurs restent très frileux, n’aimant pas trop se mouiller ni perdre de l’argent. Il faut aussi leur faire comprendre que, même si on est une femme, on peut écrire autre chose que du Harlequin : les femmes aussi peuvent toucher un lectorat sans barrières de sexe. Et ce n’est pas encore gagné…
Pour aller plus loin :
Les femmes dans la BD
Dossier : Femmes dans la bande dessinée
Les femmes de la bande dessinée
Femmes et BD – Un monde de Bulles
Le sexisme dans la bande dessinée II
La bande dessinée des filles
Thema BD : Les créatrices de Bande Dessinée
Eh ben, quel texte ! ^^
Mais je suis assez d’accord avec toi…
En ce qui concerne le tournage autour du nombril, on est pas près d’en sortir. J’ai l’impression qu’il se passe en BD exactement ce qui s’est passé au cinoche en France avec la nouvelle vague (que je vomis….).
On se retrouve avec d’;un côté des notions de « genre » totalement caricaturales et d’un autre côté une BD de plus en plus bourgeoise qui tient plus du loisir (je ne vois comment appeler ça autrement) que du travail professionnel. Il nous manque la rigueur de la ligne éditoriale américaine et la manière d’aborder les genres frontalement (sans faire les malins)…..
Voilà…..
Je voulais juste dire ajouter cette petite remarque en te donnant raison….
A Bientôt….
Merci pour ton point de vue qui complète bien le mien ^^ ça me rassure, je ne suis pas la seule à avoir ce genre d’impression !!
C’est marrant, on a visité l’expo « Elles » au Centre Georges Pompidou avec ma classe récemment, ya encore des revendications à faire mais on a vu pas mal d’artistes féminines qui ont fait avancer les choses comme les Guerilla Girls… Le must étant leur listes d’avantages à être une artiste femme : moins considérée avec un art toujours qualifié de « féminin »; entre autres ^^