Romanga, pour aller plus loin.
Il est admis que Didier Van Cauwelaert, celui qui a écrit l’enfant qui venait d’un livre, soit le créateur de ce mot-valise « romanga ». Cependant, on trouve des traces de ce néologisme en remontant jusqu’en 2007 ; il semble que cela soit encore plus ancien. Ce mot-valise explicite simplement son concept : mélanger des planches de bd (d’influence japonaise) à du texte. Ceci est à ne pas confondre avec des romans illustrés, qui restent romans malgré l’aspect manga dans le choix du graphisme qui en parsèment les pages. Par exemple, L’elfe rouge n’est pas un romanga : extrait.
Bien que non édités par de grandes maisons d’édition, plusieurs ouvrages estampillés « romangas » sont parus.
Le but de ces auteurs est d’écrire une histoire qui plait aux adolescents dont les thèmes sont, selon eux, plutôt issus de la culture « manga » et inclure des planches de bd au récit. Soit à part dans comme dans l’enfant qui venait d’un livre, soit directement dans le texte en alternant.
Un des auteurs de romanga, T.N. Niambi décrit les thèmes abordés comme suit :
« Problèmes avec une petite amie, besoin d’une petite amie, besoin de liberté, embrouilles avec les parents, dispute entre frangins, ennuis, galères…, le romanga vous offre une porte de sortie. Il ne vous permettra peut-être pas de résoudre tous vos soucis mais il pourra vous aider à oublier tout, un instant. »Les éditions Yvelines m’ont expliqué par mail, ce qu’est un romanga :
« Il s’agit d’un roman d’aventures pour jeunes – 8-12 ans – qui utilise les personnages, les thèmes et la construction des mangas, mais il s’agit d’un livre « retour à la lecture » avec des chapitres de plus en plus longs et un rythme soutenu. » Dans le livre Sacred arm, l’explication tien à l’utilisation abondante d’interjections dans les dialogues (ha, ho, hmmm…) ainsi que de ponctuations très typées : !!!!! ou ?!!!. De plus, ces ouvrages s’adressent à des personnes « qui n’aiment pas lire »
Argumenter sur des thèmes dits ‘sortis d’une culture manga’ pointe du doigt l’absence de compréhension de ce qui fait les spécificités de la bande dessinée japonaise. Si l’on reprend le résumé de Sacred arm, on y trouve des adolescents extraterrestres qui cherchent à se réunir sur terre pour comprendre l’usage de leurs bracelets, les fameux sacred arm. Où se trouve la culture ‘manga’ ?
Les thèmes de l’adolescence, des mondes futuristes, etc. font partie de la littérature occidentale depuis belle lurette. La littérature destinée aux jeunes adolescents aussi. Des textes remplis d’interjections, d’onomatopées se retrouvant dans des écritures aux phrases courtes ou dynamiques existent depuis Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline (1936). Tout cela ne présente donc rien de révolutionnaire.
Ceci pose la question du personnage « manga ». Est-il un petit garçon au sourire niaiseux comme dans les pires shônen, se coiffant au gel manga du laboratoire Garnier ? Est-il une petite fille dont le regard rempli d’étoiles éclairent les nuits telles des phares de camion ?
Suivant les codes qui leur sont propres, les japonais caractérisent au contraire beaucoup plus leurs personnages, avec bien sur plus ou moins de subtilité selon l’auteur, laissant le sourire niaiseux et les yeux emplis d’étoiles comme codes visuels, selon le moment de l’histoire. Ces codes visuels ne sont pas uniques.
Qualifier son travail de « romanga » serait plutôt une tentative de se démarquer, d’essayer de se trouver une place sur le marché très difficile et ultra concurrentiel du monde de l’édition. Il est donc dommage que le questionnement que soulève la combinaison de ces deux mots passe à la trappe : une réflexion sur l’intérêt d’un tel ouvrage et du croisement bd/roman, de son interactivité dans les mains d’un lecteur devrait être à la base de ce choix. Qu’est ce qu’apporteraient des planches de bd dans un roman ? Qu’est ce qui serait plutôt écris, plutôt dessiné ? Pourquoi ? Dans quel but ?
Car oui, je parle bien de bd. Le manga est une bande dessinée en provenance du Japon, qui comme les Fumetti italiens ou les comics books américains ont des spécificités. Jouer sur celles-ci et les intégrer intelligemment et judicieusement dans un roman, pourquoi pas.
Plus intéressante est la vision d’une auteure très ambitieuse de « romanga », Clair Cros, avec son œuvre fleuve Éleka. Voici comment elle en parle sur son site personnel :
« Production actuelle, encore en cours d’écriture, Éléka, n’a aucune des caractéristiques classiques des pavés dont raffolent les jeunes lecteurs, mais, d’après mes tests de lecture, entraîne un mouvement passionné. Il s’agit d’un manga écrit : « j’entends par là que le texte reprend (comme pour mes autres romans) le trait pur, l’esthétique, le charisme et la célérité du manga, le manga du XVIIIe siècle, et le vrai grand manga classique animé des trente dernières années, je ne parle pas ici du trait manga totalement systématique, très ado, qu’on trouve dans des très médiocres productions industrielles sans auteurs, ni des standards de pépettes porno. Éléka arrive donc générationnellement après toute la littérature classique d’Homère à Joyce par mes propres livres, […] englobe toute l’histoire de l’art, et plus proche de lui des inspirations classiques des grands mangas, Akira, Ghost in the Shell, les films de Miyazaki, toutes les séries de Harlock de Matsumoto, Cobra, évidemment, et pour l’occident, Star Wars et le Seigneur des Anneaux. Mais Éléka fait un pas en avant de l’ensemble en cumulant et faisant émerger sa forme inédite. »Tout cela résulte d’un constat qu’elle avait fait dans les années 90 :
« Éléka, il y a dix ans, était donc d’abord un projet de manga « dessin ». Pour ne pas offusquer les éditeurs de BD, le genre manga (de réputation alors « dessin animé japonais ») traversant une mauvaise passe depuis environ six ans alors, je le présentais comme un projet « hybride » entre le manga et la classique BD franco-belge. Le manga était loin de remporter la part de marché actuelle pour les éditeurs et il y avait même un grand mépris le concernant, voire de l’aversion. Même les éditeurs pro-comics américains, eux-mêmes à l’époque, faisant office de Fox Mulder au FBI, ne voulaient pas soutenir le débat concurrentiel. Je ne suis jamais parvenue à faire comprendre aux éditeurs que le manga était issu d’une technique séculaire et exigeante, dont les codes sont exactement ceux qui manquent à l’art européen et que leur alliance à tous deux était le seul futur d’un graphisme essoufflé et systématique. Ça s’était déjà produit au XIXe et début XXe avec les artistes peintres, de Van Gogh à Klimt, mais l’histoire de l’art dans certains milieux, notamment culturels, est la dernière roue du carrosse. »
Tous ses auteurs de romanga ont au moins un point commun : des récits avec abondance de dialogues (en style indirect libre) au détriment de textes purs et de descriptions, comme si le manga n’était que dialogue.
Pourtant, les japonais dans leur narration ont plutôt l’art de superposer les espaces-temps, de l’étirer ou au contraire de le distordre dans tous les sens, d’écrire des histoires sur tous les thèmes possibles et imaginables, mais de ne pas être spécialement plus bavard qu’une bd de nos contrées. L’image se trouve signifiante et signifié en elle-même.
C’est là où le bas blesse : prendre le thème pour le contenant. Blake et Mortimer est mille fois plus truffé de dialogues, mais en contre partie plus statique. Avec en plus tous les cartouches qui répètent l’action, là oui, on se rapprocherait plus de la définition du romanga.
Une grande méconnaissance des spécificités de la bd japonaise, une absence de regard du côté des américains, des italiens et des européens, une culture littéraire qui frise le zéro, puisque les spécificités de la littérature enfantines sont oubliées, montre que ces auteurs là, et même Didier van Cauwelaert ne font pas du romanga.
Lorsqu’ils se seront documentés, auront réfléchi au pourquoi de leur choix, éclora oui, peut être une nouvelle manière de raconter…
Peut être parce qu’elle sait se poser des questions lourdes de sens sur le paysage éditorial et pourquoi elle allait mettre en place une forme hybride, avec un graphisme moins amateurs que celui des autres auteurs de romanga (van Cauwelaert inclus), Clair Cros tente de se rapprocher du romanga idéal, mais hélas, sans y être encore.
Je profite d’avoir une minute à moi pour venir sur ce blog afin de m’exprimer sur ce sujet.
Tout abord, je suis étonné de voir l’ampleur qu’a pris ce mot-clé. Chacun des auteurs est prêt à défendre son bout de gras afin de se l’approprier. ça a le mérite de m’amuser.
Mais je tiens à remettre les éléments dans leur contexte.
C’est au détour d’une conversation déjantée avec un ami journaliste, que le mot est apparu pour la première fois.
Plus tard, lorsqu’il a fallu chercher un nom de collection ( car oui, il y aura d’autres romans) pour Sacred-Arms, c’est tout naturellement que j’ai décidé de baptiser cette collection « Romanga ». Il s’agissait d’un clin d’oeil envers ce fameux journaliste.
Par la suite, j’ai voulu que ce livre et cette appellation soient indissociables. Pari réussi. Grand merci aux gens qui ont cru à ce projet.
Post-scriptum: Pour ce qui est des interjections, onomatopées, etc. Ce sont d’autres anecdotes… Et dieu sait que j’en ai à raconter.
Merci pour cette précision !