Un ouvrage hybride pour une bonne cause, un mot valise pour une tentative de cross-média : le Romanga

Au mois de février 2011, au milieu d’une librairie spécialisée en bandes dessinées, dans le rayon dédié aux mangas, je suis tombée sur cet ouvrage hybride. Attirée par l’étrangeté de l’objet, le mot valise romanga me sauta de suite aux yeux, ainsi que le contenu graphique catastrophique. Flairant un coup marketing, usant du mot manga pour attirer le chaland et plus précisément le lectorat jeune, comme à l’époque des cd manga dance , des gels coiffants estampillés manga et j’en passe, je n’avais pas envie d’investir dans ce livre, ainsi j’attendis qu’il soit acheté par la médiathèque locale.
C’est après l’avoir lu en détail que je peux désormais vous en parler.
Et pour rien ne vous cacher, ma première impression était la bonne.

Pour un peu plus de 22 euros, les éditions Prisma, un très grand groupe de presse publiant Géo, Prima ou Femme actuelle, vendent un assez bel objet. Rigide et très bien fait, l’ouvrage se présente sous la forme d’un livre-coffret avec à gauche le roman et à droite le manga, les deux œuvres se faisant face. La fabrication originale de ce volume permet la lecture classique du roman et la lecture dans le sens japonais du manga, mais elle autorise également la lecture parallèle ou croisée. Ce livre a été réalisé au profit du traitement de la dystonie musculaire déformante, une maladie orpheline mal connue du cerveau et des muscles qui peut apparaître chez les enfants(1). Une partie du prix du romanga servira pour la recherche, ainsi que l’argent récolté par la vente aux enchères des planches de BD et des toiles (2).
L’écriture de ce livre est une histoire à trois : Didier Van Cauwelaert pour l’idée et le roman, Patrick Serres pour le manga qui est inséré dans le roman, et l’artiste Soÿ pour les tableaux (3).

Sur le dos du coffret, on peut y lire le résumé suivant:
Louise, hôtesse d’accueil dans un salon du livre, est abordée par un petit garçon qui semble perdu. En effet quand elle lui demande son nom, il lui montre un manga, Zédérem, dont le héros lui ressemble.
Alors qui est ce petit garçon? Un personnage de fiction matérialisé, le fils caché du dessinateur, ou bien un imposteur aux abois, un mythomane qui essaie de se faire adopter par tous les moyens ?
Ballottée de mensonges en illusions à travers des dangers bien réels, Louise s’efforce de découvrir le secret de cet enfant inconnu. Quelle vérité fuit-il dans l’imaginaire ?
A-t-il, comme il le prétend, le pouvoir de guérir par la peinture une maladie orpheline ?

Le résumé met en avant Louise, comme héroïne, qui se trouve face un jeune garçon prétendument échappé d’un manga et qui va tenter d’en savoir plus. Ce roman commence effectivement avec son histoire à elle, une comédienne trentenaire ratée qui refuse de coucher pour réussir. Cependant, elle est totalement oubliée dans la seconde partie du roman et revient comme un cheveu sur la soupe à la fin en réussissant sa carrière de comédienne grâce à un passage aux actualités télévisées.
Zédérem, le petit garçon mystérieux se révèle être un gamin qui s’est enfuie suite au meurtre de sa mère, prostituée ukrainienne, par des mafieux russes (avec deux neurone : méchant et méchant). Il se déguise en héros de son manga favori, va en apprendre les répliques afin d’attirer l’attention sur lui et rechercher son auteur pour sauver la jeune fille dont il est question puisqu’il s’agit d’un récit partiellement autobiographique et obtenir ce qu’il souhaite, une nouvelle famille, etc.

Le contenu de chacune des parties est affligeant de facilité, de racolage et de maladresses à vomir. Les situations, les personnages, leurs pensées, enjeux et réussites ne sont que du réchauffés des clichés des actualités que l’on peut voir sur TF1, M6 et autres chaines de la TNT. En plus du passé de Zédérem, on trouve pêle-mêle des tsiganes, une fillette gravement malade qui avait une sœur jumelle(décédée dans le ventre de sa mère), un père, artiste peintre raté devenu alcoolique et recyclé dans le manga, dont la famille vole en éclat, une comédienne ratée un peu naïve sur les bords et qui se laisse facilement entrainer, un flic trop sympa qui a surtout envie de coucher avec la comédienne. Dans la bd, on note la présence de femmes voilées, un émirat… Tout cela est juste indigeste car l’ensemble est très mal ficelé !

Dans un premier temps, il aurait été judicieux au vue du nombre importants d’éléments inclus,  pour tous les traiter  correctement, dans le cas du roman ou de la BD, d’augmenter le nombre de pages. Du coup, les personnages ne sont pas assez creusés, et l’histoire de Louise, de Zédérem restent anecdotiques. Sur Naomie on ne sait finalement que peu de chose, alors qu’elle est l’enjeu de notre jeune fugueur cosplayeur. De même, le professeur qui s’occupe de cette maladie arrive comme un cheveu sur la soupe dans le récit. Trop de détails tue le détail et noie l’intrigue… à savoir si Zédérem va sauver la petite fille et quelle est sa véritable identité. On se perd dans des méandres de considérations par moment et beaucoup de dédain ponctue le récit (sur Bob l’éponge, les jeunes femmes qui s’occupent des stands « la moins blonde des deux », … et quantité d’autres phrases qui, à y regarder de plus près, ne sont pas forcément ni de l’humour ni de l’ironie). A y réfléchir à froid, tous ses personnages et ses situations abracadabrantesques me rappelle ces séries télé à but distrayant de bas étages dont le très apprécié Plus belle la vie.

Effet garanti sur les ménagères qui frémiront en pensant lire et offrir un bouquin traitant du monde contemporain d’une manière construire et critique, avec une réflexion adaptée aux enfants, c’est-à-dire par le biais d’une fiction distrayante et traitant d’une maladie grave. Erreur… Cet ovni tente juste d’appâter leur gosse en conciliant le roman et le manga.
Car cette BD qui vient du Japon et fait encore peur à certains, notamment par le biais de ces dérivés : le merchandising (figurines, jeux…) réalisé en parallèle de la vente de ces bandes dessinées, mais surtout les animés sur lesquelles planent malheureusement encore l’ombre de la violence et du ‘gnangnan’ tel que diffusé par Club Dorothée, … à ainsi que la culture qui gravite autour (cosplay…). Mais ce sont plus les ados qui gloussent en se déguisant en Naruto qui donnent des sueurs froides. De ce fait, on en oublie que derrière le terme ‘manga’ se cachent en premier lieu des bandes dessinées qui certes, plaisent plus aux ados, car plus proche de leur préoccupation de cet âge… et il y a peu de BD bien de chez nous dans ce cas.
D’un avis personnel, je trouve que le nom du héros du manga est d’un goût douteux. Je ne dis pas que les japonais font mieux dans leurs travaux, mais celui-ci sonne comme de la mauvaise SF française et en lui-même ne signifie rien. Nombre de personnage de bandes dessinées ont des prénoms lié à leur caractère, ou tiré d’une quelconque mythologie… avec une forte connotation symbolique, enrichissant par là la lecture.

Disons-le clairement. Graphiquement, le travail fourni sur Zédérem est totalement illisible. Je tiens à rappeler qu’un manga est une BD en provenance du Japon, résultat de leur culture où le plus souvent le noir et blanc et le petit format ont été privilégiés pour des raisons de coûts… ce qui donne une mise en page, une mise en scène particulière et proche du feuilleton. Quant à l’aspect graphique, il n’y pas que des grands yeux !
L’auteur qui a dessiné la partie BD de cet ouvrage et qui est un professionnel de ce milieu donne l’impression de n’avoir jamais ouvert un manga jamais ni fait de BD… les ouvrages sur les spécificités du manga (vu que c’est sur ça qu’il semble se baser pour « faire du manga », comme les cheveux en pétard, les couleurs fluo (hum, on lorgne plus du côté de l’animation), les grands yeux…) auraient pu l’aider. La documentation n’est pas un moindre mal lorsque l’on s’attaque à quelque chose que l’on connait peu, et cela éliminerait une partie des préjugés.

La lecture du manga Zederem n’aide en rien à la compréhension de l’histoire. Elle embrouillerait presque, car cela est très confus au niveau de la mise en scène, de la mise en page. Je ne parle pas de certaines anatomies approximatives ni de dessins maladroits, mais ce qui n’est pas tolérable, ce sont les expressions faciales en total inadéquation avec ce qu’il semble se passer dans la scène. Les personnages ont des faciès qui restent la plupart du temps figés
La page-titre en couleur du manga rappelle les vieux trucs des 80 et la typographie du titre qui est censée est être, d’après le roman « gothico galactique », n’y ressemble pas… une police de caractère gothique est celle que l’on retrouve, entre autre, sur les affiches du IIIème Reich… alors version Galactique…

La couleur dans le manga est uniquement exploitée sur les tableaux qui le parsèment. C’est une idée qui aurait gagné à être poussée plus loin, en ce sens que si à la fin du récit, lorsque la jeune fille commence enfin à parler et à marcher, son monde basculait du noir et blanc à la couleur, on ressentirait plus fort l’espoir et la joie qui la gagne. Au lieu de ça, cette utilisation n’est qu’anecdotique.
Je veux bien faire un effort, mais il existe foule d’amateur, dessinateur de manfra mille fois plus doué ainsi que des dessinateurs de francos avec plus de talent !

Les tableaux de l’artiste Soÿ,  sortes de calligraphies que l’on retrouve tout au long du livre et de la bd, ne me parlent pas non plus. J’ai beau faire un effort, il m’est difficile d’y voir le thème d’une gémellité cannibale qui provoque la mort de celle qui a dévoré sa sœur. J’y vois surtout de grosses paires de seins, ce qui perturbe un peu ma lecture sur une représentation de jeune fille : de longs cils me choqueraient moins, car je ne vois pas l’importance du développement précoce de la poitrine, cette dernière n’aidant pas à marcher. De plus, les traits qui recouvrent les figures humaines ne sont pas très développés en ce sens qu’ils devraient indiquer au subconscient de la jeune fille comment bouger ses muscles, les contrôler, pour se mouvoir (atteinte de soubresauts, elle n’y arrive pas). Cela n’invite ni à la réflexion ni à la rêverie. Aucun concept ne s’en dégage non plus. Ça n’évoque rien, à part le vide.

Pour moi ce sont des toiles que l’on peut retrouver en milieu médical, surtout dans les salles d’attente des médecins et dentistes.

L’idée intéressante de ce cross-média livre-tableau-BD qui se répondent l’un l’autre, rebondissent entre elle et apporte un niveau de lecture supplémentaire ne prend pas. Chaque partie péchant par de trop nombreuses faiblesses, avec des impressions de bâclage du texte et des images. Il y a trop d’idées sous exploitées et ça part dans tous les sens.

Quant bien même cette initiative pour récolter des fonds est tout à fait louable et à encourager, on n’achète pas non plus n’importe quoi ! L’idée d’un cross-média entre le roman et la BD (de style « manga »… argh, je ne m’y ferais jamais…) quand elle est bien exploitée peut donner des choses intéressantes.
C’est un concept à creuser. Peut être même une nouvelle brèche, un nouveau secteur et une nouvelle façon de concevoir la lecture, l’interaction entre l’image et le texte.

Cependant, si l’aspect médical vous séduit, je ne peux vous renvoyer consulter des BD et des fanzines qui ont mieux étudiés et préparé leur propos :
Un numéro hors série du fanzine Crucify publié en 2002, par exemple, a été réalisé par une toute jeune équipe, et se trouve être copieux, bourré de BD, illustrations, articles. Surtout, il a été pensé par des jeunes pour des jeunes, supervisés par les acteurs locaux de la jeunesse et de la santé : http://crucify.free.fr (4)
Sinon, sur le site Manolosanctis, on y trouve une BD scénarisée par Gernier, qui traite des problèmes de la greffe du foie dans les années 1980 : La Foie.

L’Enfant qui venait d’un livre, Van Cauwelaert, Soÿ et Serres, éd. Prisma, 120 p. (roman) et 40 p. (manga), 22,95 euros.

(1) Le cerveau envoie des messages aberrants aux muscles : il n’y a plus rien, ni paroles, ni marche, . Or il est possible, par une opération, de détruire tous ces symptômes. Le professeur Philippe Coubes au CHU de Montpellier, a déjà opéré 400 enfants depuis 1996. Il implante  des électrodes profondément dans le cerveau, connectées à des stimulateurs dans l’abdomen. Les piles doivent être changées tous les 4 ans. Ca ne guérit pas la maladie mais permet du jour au lendemain d’enlever tous les symptômes.
Une opération efficace mais coûteuse, ce qui limite à quelques patients par mois le nombre des enfants qu’on peut traiter.

(2)    L’ouvrage est  vendu au profit de l’Urma (Unité de recherche sur les mouvements anormaux) du CHU de Montpellier. Cette démarche est directement liée à la genèse du livre. Celui-ci est né d’une rencontre entre Didier Van Cauwelaert et le père d’une fillette de huit ans atteinte de cette maladie lors d’une séance de dédicaces.
(3) Les fichiers existent toujours si quelqu’un est intéressé pour un faire une éventuelle réimpression, après, je pense, une remise à jour.
(4) Vous pourrez voir trois vidéos consacrées à chacun des auteurs :
Didier Van Cauwelaert, Serres, Soÿ






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